Nous vous proposons de découvrir l’expérience d’un travailleur social du CPAS de Charleroi à travers ses propres mots. Ce travailleur tente, comme beaucoup d’autres, de poursuivre sa mission dans un contexte qui s’est considérablement complexifié depuis le début de cette crise. La plupart des services du secteur associatif ont dû fermer leurs portes. Pourtant, pour ces travailleurs il est essentiel et même indispensable de maintenir la continuité de leurs missions.
L’obligation nécessaire et légitime d’instaurer un confinement souligne plus que jamais l’importance de maintenir et renforcer une proximité sociale entre les individus. C’était vrai avant cette crise, ça l’est d’autant plus aujourd’hui et le sera davantage dans les mois à venir. En effet, cette crise sans précédent bouleverse notre quotidien professionnel et personnel. Elle met également en évidence ce besoin de rester connecter aux autres ainsi que l’importance de pouvoir partager et comparer notre vécu. Ces mesures de confinement questionnent profondément nos modes de vie, nos modes de consommation et nos rapports sociaux, mais soulignent surtout l’importance de préserver les liens sociaux.
On le sait l’isolement social peut avoir des conséquences considérables en termes de santé mentale et physique et ces risques sont actuellement accentués. Dès lors, pour le travailleur social se pose la question du maintien du lien à distance. Encore une fois, ces travailleurs sociaux font preuve de créativité, de coordination, d’organisation de façon à assurer la continuité du travail amorcé. C’est donc à distance et par le biais des réseaux sociaux que ces travailleurs tentent de mobiliser les usagers afin de rompre l’isolement social et d’améliorer leur bien-être.
Certains médias font état de cette situation de crise face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Par ailleurs, le secteur associatif tente lui aussi de conscientiser les autorités publiques à ne pas fragiliser davantage un public plus vulnérable face à cette crise. Ce témoignage apporte de la nuance, bien que fragilisé, le public des SIS rebondit, s’adapte mais fait également preuve de réflexivité et de solidarité collective. Soutenus par la persévérance des travailleurs sociaux, les bénéficiaires surprennent, renversent les rapports et brisent des préjugés. Ce témoignage interpelle et révèle très justement, l’importance du travail social fait de discussions informelles, de gestes et d’actions. Ce travail, plus que jamais essentiel, est porteur de changement tant chez le bénéficiaire que chez le travailleur lui-même.
Bonne lecture!
Ce petit billet d’humeur a l’ambition de vous apporter durant cette période de mise à l’écart, un regard plus éclairé sur un public trop souvent oublié : partager avec vous, mon expérience nouvelle sui generis, des discussions et échanges entretenus grâce au téléphone et à internet.
Dès les premières mesures prises par notre gouvernement, notre secteur a rapidement été contraint d’arrêter ses actions collectives, nous privant de notre matière première, le rapport humain. C’est donc, isolé mais en bonne santé, depuis mon appartement carolo, dépossédé de mon contexte professionnel que je m’exprime aujourd’hui. La quarantaine, c’est une première pour moi : forcer de s’isoler de sa famille, de ses amis, des indispensables liens sociaux… Un contexte que l’on ne souhaite à personne mais pourtant déjà bien connu de nos bénéficiaires. C’est donc principalement par l’intermédiaire des réseaux sociaux et de mon ordinateur que je tente de réinventer mon travail.
Pourtant, j’ai l’impression que nos métiers sociaux n’ont jamais été aussi valorisés dans leur rôle d’accompagnement. L’Humain est aujourd’hui devenu le centre de gravité, sa vulnérabilité est réelle et est devenue la préoccupation majeure du système plaçant l’économie en second plan. Au regard de la notion de confinement, l’appartenance à une classe sociale n’est plus aussi appréciable et ne protège pas plus de la maladie. Pour maintenir le lien avec notre public, un groupe fermé Facebook a donc été créé pour l’occasion. L’opportunité pour une participante d’évoquer son parcours :
« Alors pour moi j’avoue que le confinement ne change pas grand chose vu que j’ai vécu comme ça pendant de nombreuses années (par choix de ne pas à avoir à me coltiner des personnes que je n’aimais pas et des milieux qui ne me correspondaient pas, ensuite par agoraphobie, et ensuite pour prendre soin de ma maman malade, et pour d’autres raisons personnelles etc.. )»
D’autres bénéficiaires partagent leur regard sur la situation :
« vivre sans voir toutes ces tragédies dans le monde… vivre tout simplement sans ce virus sans avoir peur du lendemain la vie est devenue si étrange…j’ai un peu l’impression de vivre dans un autre monde. Chaque information à la télévision en fait partout te ramène à ce virus. Parlons des jours où nous devons aller faire les courses gants masque agent de sécurité aux portes des magasins une atmosphère pesante… tout le monde se regarde en gardant une distance, le bonjour à pris place aux silences…l’innocence de la vie d’avant me manque… Mais une fois tout cela terminé, nous serons heureux de vivre tout simplement… nous ne verrons plus les choses de la même manière et ça j’en reste persuadée… »
« La liberté n’a pas de prix mais c’est bien la seule chose qui me manque car, à tous les autres niveaux c’est positif. Moins de gens, moins de voiture, moins de bruit, moins de consommation, moins de pollution, moins de choses futiles, moins de distraction, plus de temps pour soi, plus de facteurs d’introspection ».
Inspiré par les propos de nos aidés inquiets eux aussi de la situation mais plus habitués que nous à cet isolement, j’ai été surpris de leur lucidité. Le retour à la simplicité, à « l’innocence de la vie d’avant » déclare une participante et au sentiment de liberté…Tous cela est attendu impatiemment et concomitamment.
Accompagnateur social dans un service d’insertion à Charleroi, mon travail, avant le covid-19, consistait à proposer des activités collectives aux bénéficiaires du CPAS, à un public dit isolé. Avoir une discussion en groupe, créer en même temps un meuble en carton, venir dessiner ensemble, confectionner un repas l’un avec l’autre ou simplement, de concert, transformer des vieux tissus en quelque chose de nouveau,… Voilà ce que, entre autres, toute l‘équipe d’insertion proposait à plus d’une centaine d’usagers par an durant plus de 19h par semaine. Des sessions de 3 heures qui, autour d’une tasse de café et sous le couvert d’une activité prétexte, tantôt créative, tantôt didactique, tantôt divertissante, servent à créer du lien, à amorcer une accroche sociale dans un cadre qui se veut bienveillant et le plus convivial possible.
En parallèle, un travail personnalisé et individualisé d’accompagnement social était réalisé. Même si les participants n’en parlent pas avec ces mots et/ou les mots ne sont parfois pas leur meilleur arme d’expression massive, il ressort que l’isolement, la solitude, le manque de lien avec la société et les problématiques de santé sont souvent les contextes convergents de notre public.
Depuis maintenant 15 jours et grâce à un partenaire associatif (G.S.A.R.A. Charleroi), le service propose un contact en direct, tous les jours via une plateforme informatique. Lors des lives, les discussions tournent autour du confinement, des courses, des consommations internet et TV, des médias et des rapports aux enfants pour ceux qui en ont. Difficile de parler d’autres sujets. La réalité immédiate prend le dessus sur tout. Au-delà des sujets abordés, je ressens une envie simple d’être ensemble, les moments de silence passent, agréablement, comme si le retour au moment présent n’avait jamais été aussi facile, aussi sensible, aussi beau. Les échanges de moments ordinaires prennent une nouvelle dimension.
L’humour est là, loin d’être furtif, il agit souvent comme un clin d’œil qui réconforte, qui soutient. Mais qui soutient l’autre ? L’expérience collective commune crée un équilibre plus grand dans nos échanges. Mes repères sont bousculés.
De 4 à 7 participants sont présents tous les jours. Ceux-ci partagent facilement leur ressenti, leur vision de la situation. Celle-ci ne semble pas trop les alarmer même s’ils évoquent volontiers l’après : un bon mac-do à la sortie, un retour vers les petits-enfants, un anniversaire à fêter ou une simple ballade. Les difficultés de trouver des produits « premiers prix », de devoir se rabattre sur des produits plus chers, de se ravitailler en produits hygiéniques alimentent malgré tous nos discussions. L’opportunité également d’évoquer avec eux l’Avenir avec un grand A, celui de notre civilisation et ce de manière égalitaire en partageant nos sources d’information, en mettant en perspectives nos points de vue.
Tous ne sont pas à l’aise avec le média internet. A ce jour nous n’avons pas réussi à toucher tous nos participants pourtant actifs les dernières semaines d’activités. A la question du pourquoi, ceux présents osent dire :
« Je pense que certain ont peur, peur d’être jugé, de renvoyer des informations sur eux (image de son intérieur), qui pourraient être mal interprétées ou utilisées ».
« Ils ne sont pas à l’aise avec l’outil informatique, ils n’arrivent pas à se connecter ».
« Ils ne veulent simplement pas avoir de contact »
« La médiatisation du sujet est anxiogène et conduit à un isolement encore plus grand, la peur prend le dessus ».
…Une grosse partie du travail de nos dispositifs réside dans l’accroche. Tous ne sont pas preneurs ou prêts pour une rencontre/un échange /un travail en groupe. La difficulté du quotidien pour accrocher un public persiste donc sur la toile, rien de surprenant. L’usage du numérique est à pointer également : quelques-uns expliquent ne pas avoir internet et n’en perçoivent pas l’utilité. Des relances téléphoniques sont réalisées avec des résultats divers. Des personnes souhaitent entretenir des contacts mais uniquement via téléphone. Ces personnes n’hésitent pas à parler de leur détresse, de leur peur face à ce qu’il se passe. Certains ne décrochent pas malgré plusieurs rappels et messages laissés sur répondeur. Hypothèse : l’appel « masqué » insécurise. D’autres évoquent également la peur de retomber dans leur travers, leurs mauvaises habitudes.
Un argument a retenu mon attention lors d’un de mes échanges téléphonique : « Le monde est obligé maintenant de vivre comme moi : confiné toute l’année ! Je complexe souvent de ne pas avoir de vie sociale, depuis le confinement, je complexe moins, je me sens presque mieux ». Conscient de sa position sociale, ce bénéficiaire interroge la norme dominante, interpellant non ?
L’amour de la liberté prédomine beaucoup dans nos échanges. Cette liberté que l’argent n’achète pas toujours, cette liberté volée que beaucoup redécouvre par la privation. Beaucoup s’accordent à dire qu’il y aura un avant et un après virus 19, l’enjeu sera de repenser notre accompagnement, traumatisé, mais fort d’une expérience inédite.
Un monde nouveau nous attend avec la résilience comme porte d’entrée.