L’été s’est fait chaud tant sur le plan de la météo que des négociations en vue de mettre en place les nouveaux exécutifs après les élections du 26 mai.
Tour d’horizon de discussions qui ne sont pas encore abouties…
Les deux plus petits exécutifs du Royaume sont formés. Côté germanophone, l’habitude a prévalu : le nouveau gouvernement a été mis sur pied dans la foulée du scrutin, sans se soucier des résultats nationaux. Après seulement deux jours de discussions, une coalition a été formée, la coalition sortante – ProDG, PFF et SP (lisez régionaliste, libéral et socialiste) – a pu être reconduite grâce à un siège de plus que la majorité. Plus surprenant, Bruxelles est devenue la première région à disposer d’un gouvernement, en un peu plus de cinquante jours. Lors des formations précédentes, la formation du gouvernement bruxellois s’est déroulée au même rythme que ce qui se passait en Wallonie et à la Communauté. On relèvera avec intérêt que l’accord du nouveau Gouvernement bruxellois prévoit la création d’entreprises à but d’emploi (voir ci-dessous) ou la nécessité d’une transition vers un modèle économique durable où l’économie sociale est mise en avant comme réponse aux besoins de la collectivité et vecteur de création d’emplois.
En Flandre, après plusieurs rencontres avec le Vlaams Belang, Bart De Wever a rédigé une note qu’il a soumise au CD&V et à l’Open Vld. Il a depuis passé le relais à Jan Jambon qui est chargé de former une majorité « suédoise » au gouvernement flamand associant la N-VA, le VLD et le CD&V. La note comporte de forts accents identitaires, axés sur le développement de la culture, de l’histoire ou de la langue flamande auxquelles par exemple les nouveaux arrivants devraient s’agréger. La politique préconisée par la note penche clairement à droite sur le plan socio-économique. Elle propose ainsi de ne plus subsidier la construction de logements sociaux supplémentaires dans les grandes villes comme Gand, Malines ou surtout… Anvers. C’est un fameux souci pour cette dernière métropole. De Wever, avec sa casquette de bourgmestre d’Anvers, s’est engagé auprès de ses partenaires à y remettre à neuf ou à y construire 5.000 logements sociaux durant la législature à venir. Or, cet engagement est impossible à tenir sans moyens supplémentaires venus de la Région : voilà la N-VA qui fait le grand écart entre imposer cette idée au niveau régional et son accord électoral à Anvers au risque d’y briser sa majorité ; les socialistes flamands, partenaires de la majorité anversoise aux côtés du VLD et de la N-VA sont prêts à ruer dans les brancards !
En Wallonie, Ecolo et PS ont dû se résoudre à ouvrir les négociations avec le MR. Les négociations pour la formation du gouvernement wallon et de celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont comme en Flandre, en cours. C’est l’heure des arbitrages en termes programmatiques et de casting. Deux notes synthétiques (Wallonie et Communauté) reprennent les propositions écologiste et socialiste cosignées en juillet dans l’opus Coquelicot, elles intègrent les nouvelles demandes propres d’Ecolo et les exigences du MR. Ecolo est arithmétiquement superflu (PS et MR réunissent 43 élus sur 75), mais politiquement indispensable pour éviter la constitution d’un gouvernement des « perdants » (les 12 sièges d’Ecolo sont un apport non indispensable à constituer une majorité). En effet, pour le PS, les choses se compliqueraient singulièrement si Ecolo venait à faire défaut. Le risque est grand, Ecolo a d’ailleurs déjà durci ses revendications. Le PS pourrait se retrouver finalement seul avec le MR. Bye bye la coalition ultra-progressiste souhaitée par… la FGTB. On imagine déjà la charge de cette dernière si cela devait être le cas ! En attendant, les écologistes sont toujours à la table des négociations, on s’y parle bien à trois partis tant que maintenant… Les négociateurs ne s’imposent pas de délai, mais veulent aboutir début septembre, idéalement avant les fêtes de Wallonie. Pourquoi pas avant le 9 septembre, date à laquelle les informateurs royaux, Johan Vande Lanotte et Didier Reynders, remettront leur rapport de mission à l’échelon fédéral, ce qui ouvrirait en principe une nouvelle séquence (trois mois et demi après les élections quand même…) dans les négociations générales au niveau fédéral.
Tiens, une dernière… C’est Le Soir du 23 aout qui l’évoque. Si ce n’est pas encore l’heure du choix des ministres au gouvernement wallon, il est rapporté par le quotidien « que certains, côté syndical, à la FGTB wallonne, font savoir, plus ou moins discrètement, aux négociateurs socialistes qu’ils ont une inquiétude : voir les libéraux promouvoir à nouveau Pierre-Yves Jeholet » : « Par rapport à ce que nous avons vu sous la législature précédente, on a raison d’être inquiets, c’est bien le moins. ». Amusant, non ? Il est certain qu’il existe peu de travailleurs et même de stagiaires dans le secteur de l’insertion socio-professionnelle qui se réjouiraient d’un retour de Jeholet comme ministre de tutelle pour la formation professionnelle…
A ce jour, deux gouvernements sur les six à former, existent donc. La formation du gouvernement fédéral risque d’attendre que tous les autres soient sur pied. Avec des coalitions disparates dans les différentes entités fédérées, sa mise sur pied effective s’apparente de plus en plus à un tour de force… Le moins que l’on puisse écrire est que les deux informateurs royaux, Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (SP.A), sont discrets ; ils se disent « en contact avec les responsables des négociations dans les Régions et Communautés ». Pour l’heure, il n’y aurait toujours pas le début d’une négociation entre N-VA et PS alors que leur implication est devenue arithmétiquement nécessaire quoique politiquement improbable. Par ailleurs, Charles Picqué a déclaré le 14 aout qu’il n’est pas impossible que le PS et la N-VA négocient ensemble la formation d’un gouvernement fédéral ; c’est là un positionnement radicalement opposé aux récentes déclarations de Laurette Onkelinx ou d’Elio Di Rupo. Le temps fera-t-il son œuvre ? C’est d’autant plus compliqué que CD&V et VLD se sont engagés à ne pas défaire au fédéral ce qu’ils sont occupés à construire en Flandre. Ce qui revient, en somme et à ce stade, à lier ces derniers à la N-VA à l’étage fédéral… Du coup, le président du PS a déclaré sur Twitter que « s’imaginer que le PS pourrait faire l’appoint et dépanner les anciens partenaires de la coalition suédoise pour former un gouvernement fédéral, relève de l’illusion. » Pas simple de toute évidence…
A moins d’imaginer un gouvernement fédéral basé sur les gouvernements des différentes entités fédérales ? Pas sûr que les partis francophones acceptent cette option : ne serait-elle pas un pas supplémentaire vers le confédéralisme porté par la N-VA et craint par les francophones ? Et si on en parlait de ce confédéralisme à la belge ? Et si on arrêtait d’en faire un tabou au sud du pays ? Les francophones méconnaissent la réalité flamande et devraient peut-être mieux l’appréhender. Il a fallu au mouvement flamand des décennies de lutte acharnée pour faire en sorte que l’identité linguistico-culturelle et politique de la Flandre s’affirme au sein du pays. Si on s’imagine à Namur que la mouvance nationaliste ne concerne que la seule N-VA, on se trompe. En fait, la volonté affichée aujourd’hui par Bart De Wever de mettre le confédéralisme sur la table de négociation s’inscrit dans une logique en grande partie partagée par l’ensemble des partis flamands. On l’oublie, mais le 3 mars 1999, le Parlement flamand adoptait à une large majorité cinq résolutions reprenant des lignes de force pour une réforme de l’Etat impliquant un profond changement du modèle fédéral belge. Si le vote du Parlement flamand a eu un retentissement considérable en Flandre, et si la presse francophone en a largement traité, surtout sous l’angle critique, il n’est pas certain que les francophones en aient perçu la portée réelle. La Flandre est devenue une réalité, en écho à la « Charte pour la Flandre » (Handvest voor Vlaanderen), présentée par le gouvernement flamand de 2012 constitué alors par les démocrates-chrétiens du CD&V, les socialistes du SP.A et les nationalistes de la N-VA ; fait remarquable, le mot « nation » figure dans son préambule… Pour les francophones, le confédéralisme à la belge pourrait être une voie à prospecter en écho aux aspirations flamandes. Le confédéralisme « à la belge »ne signifie pas spécialement la fin du pays, mais les matières gérées en commun seraient très fortement réduites. Ce concept, qui – avouons-le – relève aujourd’hui plus de l’idéologie politique que de notion juridique, nécessite de s’entendre sur une organisation politique cohérente. Plus encore, il faut créer un consensus sur le plan communautaire. Associer les gouvernements des entités fédérées à l’ouverture d’un nouveau round de négociations autour d’une septième réforme institutionnelle pourrait permettre à la législature fédérale nouvelle de s’ouvrir. Enfin…
Plus généralement, et pour conclure momentanément sur un mode plus positif, on constatera à ce stade que notre fédéralisme devient adulte ; en effet, chaque entité fédérée jouit désormais d’une dynamique propre. Il ne reste plus qu’à y garantir le lien indispensable entre les différents niveaux de pouvoir avec un programme et un exécutif au niveau fédéral. Même si cela ne sera pas simple, gageons que nos décideurs vont s’y atteler et aboutir « par belle ou par laide » comme on dit chez nous ! Merde à la fin, c’est pour gouverner qu’on les a élus, non ?