En préparation des prochains Etats-Généraux de CAIPS, une vingtaine d’affiliés (CISP, ILI et SIS) ont échangé ce 17 septembre par visioconférence sur le thème de l’accompagnement psychosocial. Compte tenu du contexte sociopolitique actuel et des approches propres au secteur, comment les centres mettent-ils en œuvre l’accompagnement aujourd’hui ? Partant de là, quelles visions, propositions ou revendications porter pour défendre un modèle d’accompagnement souhaitable pour demain ? Questions vastes s’il en est, auxquelles ont réagi les participants. Les lignes de force qui se dégagent font la part belle à quelques valeurs clés : centralité de l’humain, approche multidimensionnelle, sens, coopération, créativité, transformation sociale.
Intro : Un accompagnement institutionnel qui veut rendre les individus conformes
En introduction, le Prof. Jean-François Orianne de l’ULiège, sociologue de l’action publique et des problématiques du travail, livre une analyse issue de ses recherches sur les politiques actives d’emploi actuellement mises en œuvre au sein d’opérateurs publics. Il la développe en trois questions.
Tout d’abord : Pourquoi accompagne-t-on des chômeurs alors que l’emploi manque ? Depuis les années nonante, le paradigme politique qui s’est imposé situe la source des problèmes sociaux chez les individus eux-mêmes. L’action publique investit afin de faire évoluer les personnes vers un profil plus employable, et non plus pour leur trouver un débouché professionnel. Ainsi, on accompagne tout le monde à défaut de placer tout le monde, puisqu’il n’y a plus assez de postes de travail. Et les demandeurs d’emploi restant sur le carreau remplissent désormais une fonction de pression sur les salariés.
Ensuite : Comment accompagne-t-on, dans le secteur public en l’occurrence ? L’efficacité de la recherche d’emploi compte assez peu. Quels que soient ses résultats au bout du compte, le chômeur doit s’engager à « se bouger » (via contrat) et prouver qu’il cherche (via pièces justificatives). Le suivi individualisé s’intéresse à la mise en projet dans sa dimension d’adéquation aux attentes du marché de l’emploi. L’intéressé doit apprendre le langage de l’employabilité, se rendre plus attractif pour les employeurs potentiels, qu’importent ses propres aspirations profondes.
Enfin : Quels effets cet accompagnement produit-il ? Ce système est autoréférentiel, c’est-à-dire qu’il trouve sa signification en lui-même. Déconnecté de la réalité des gens, il enferme ceux-ci dans une vision réductrice qui néglige leurs besoins.
Et Jean-François Orianne d’interpeller par une question subsidiaire les professionnels du secteur ici réunis : Comment accompagner dans une optique autre que la mise en conformité des individus ? En d’autres termes : comment accompagner vers l’insertion sans se cantonner à traiter les freins personnels, en s’attachant aussi à lever les freins générés par le contexte socioéconomique ?
Patrie 1 : Notre expérience de l’accompagnement aujourd’hui
La première intervention reprend la balle au bond en s’appuyant sur le philosophe Alain Deneault : elle renchérit sur le fait que certaines missions des instances publiques en charge du social et de l’emploi ont dévié de leurs objectifs originels. Les personnes en insertion, notamment les migrants, ne maitrisent pas le langage et les codes des institutions ; et se retrouvent dans des impasses. L’écoute du public est clairement déficiente, alors qu’elle est essentielle pour détecter ses besoins non rencontrés. Plusieurs participants soulignent que c’est là l’enjeu central, et qu’il requiert disponibilité, non formalisme, empathie et temps. Particulièrement en cette période d’insécurité prononcée, le volontarisme est de mise pour permettre à la personne accompagnée de dévoiler ses besoins voire de les formuler.
Les dispositifs fondés sur la participation active des stagiaires sont propices à la dynamique d’écoute et d’émergence des besoins. Il faut les développer davantage. Le collectif est porteur de changement, tout particulièrement en contexte pédagogique à visée appropriative. Certes, jouer le jeu de l’employabilité est inéluctable pour préserver les droits des personnes ; mais le développement personnel et la rencontre avec la société sont les objectifs premiers dans la plupart des cas. L’intégration passe avant tout par là, comme le pointait le Mémorandum 2019 de CAIPS. En la matière, la force d’innovation de nos secteurs n’est plus à démontrer. Des affiliés témoignent d’initiatives qui connectent les personnes accompagnées avec le monde extérieur. Certaines touchent au domaine socioculturel. D’autres visent à pallier aux carences du marché de l’emploi en accompagnant des personnes, préalablement formées, dans la création d’activité en économie sociale. Encore faut-il que les projets novateurs issus d’expérimentations de terrain trouvent relais et financements…
En première partie de visioconférence, les interventions reflètent donc une expérience de l’accompagnement empreinte de nuances et de beaucoup de cohérence. Elle convoque quelques fondamentaux figurant dans la brochure Une autre voie vers l’intégration : les CISP (CAIPS, 2013 – https://www.caips.be/publications/une-autre-voie-vers-lintegration-les-cisp) : la personne comme point de départ et sujet d’attention constante, l’importance de la confiance, le but de mise en activité sur plusieurs plans (personnel, social, professionnel), l’inadaptation à un temps contracté, la réinvention continuelle à partir de la pratique.
Partie 2 : L’accompagnement souhaitable pour demain
Constamment tiraillée entre mission émancipatrice et pressions à la normalisation des personnes, l’ISP doit se prémunir contre tout modèle d’accompagnement trop formalisé, rigidifié, qui deviendrait inadéquat pour lutter contre l’exclusion. Le cœur de la démarche doit rester la singularité de chaque personne. De l’avis de certains participants, au concept d’intégration, il y a des motifs de préférer celui d’inclusion (NDLR : dans un environnement dit inclusif, la diversité est la norme, les structures s’adaptent aux individus (et non l’inverse) pour tendre vers une égalité de fait. Ceci signifie que chaque personne, dans ses différences, a accès à des ressources sociétales appropriées à sa propre situation, ce qui permet à la population dans son ensemble d’occuper un positionnement équilibré).
D’aucuns préconiseraient volontiers une séparation nette des rôles entre le Forem et les acteurs de l’ISP, ces derniers ayant la prérogative du travail d’accompagnement social destiné à cultiver le pouvoir d’agir des personnes. Si cette conception radicale n’est pas débattue plus avant en séance, l’idée de se positionner comme de véritables partenaires de l’opérateur public, vu les complémentarités, fait quant à elle consensus.
Liant les deux interventions précédentes, Jean-François Oriane relève que le pouvoir d’agir peut, à l’instar de l’employabilité, être vu comme une caractéristique intrinsèque à l’individu ; cette conception invitant à équiper ce dernier pour affronter son environnement. Mais si l’on considère que le pouvoir d’agir est en fait une relation entre une personne et son milieu de vie, on reconnaitra, dans le sillage de l’économiste Bernard Gazier, qu’il est au contraire intéressant d’équiper l’environnement pour accueillir l’individu. Ce qui représente un renversement par rapport aux politiques dominantes.
Une collaboration féconde entre associations et pouvoirs publics peut ainsi s’envisager pour développer des modèles d’intervention alternatifs dans le champ de l’insertion socioprofessionnelle. Notamment en vue de changer les mécanismes du marché de l’emploi (qui inféodent la demande à l’offre). Outre lui déléguer des tâches ardues et complexes auprès des publics en grandes difficultés, on pourrait inviter le secteur à mobiliser ses compétences pour aider les conseillers Forem à réintroduire de l’humain là où il n’y a guère que des procédures. Des ressources formatives sont en effet prévues pour les agents concernés par le futur Décret wallon Accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi.
On rappelle par ailleurs que le groupe et les pairs ont un rôle important durant tout processus de formation. Dans cet ordre d’idées, l’accompagnement pourrait se renforcer via l’implication (accrue) d’anciens stagiaires dans le parcours de ceux qui leur succèdent (accueil, moments-clés du cursus, recherche de stage, etc.). Leurs apports ont le grand mérite de « parler » aux intéressés.
Précisément, la vocation de l’accompagnement à générer du sens aux yeux des stagiaires est soulignée. Dans un système institutionnel souvent abscons, les démarches à accomplir doivent être reliées à leurs besoins concrets. Et apparaitre pertinentes pour résoudre leurs problèmes du moment ! La question du sens se pose aussi au niveau des équipes, qui voient fréquemment l’inventivité déployée pour accompagner les usagers se heurter à l’âpreté des logiques administratives ou de financement.
Prendre les réalités des personnes comme point d’ancrage de l’action conduit à explorer les marges. Si mettre quelqu’un en activité professionnelle ne s’avère ni possible ni souhaitable, on peut se retrouver en porte-à-faux avec le cadre réglementaire. Ce cadre, CAIPS précise qu’il est plus large et malléable que les centres ne le pensent parfois. Prenons donc garde à l’autocensure. Quoi qu’il en soit, certaines situations conduisent à sortir des clous ; et poussent à solliciter des partenaires, à interpeller le pouvoir public. Depuis ses origines, notre secteur questionne les contours de l’action et crée de nouvelles réponses. La reconnaissance de cette valeur ajoutée est à revendiquer.
C’est alors qu’une ultime intervention soumet au panel présent une question corollaire : Jusqu’où sommes-nous prêts, nous-mêmes, à nous engager en faveur de l’intégration, en tant qu’organisations, que professionnels et que citoyens ? Que peut-on partager avec les gens en situation de précarité ? Des « rencontres d’intérêts » avec d’autres catégories de personnes leur sont en effet nécessaires.
Cette question restera ouverte, mais la réunion virtuelle du jour aura permis d’exprimer (et réaffirmer) des valeurs et un but communs, comme l’épinglera en clôture un nouvel arrivé dans le secteur. En condensé, la conception de l’accompagnement psychosocial que nous entendons continuer à défendre peut être esquissée comme suit : une démarche qui part des réalités de la personne et s’y adapte, dans une approche humaine, menée en collaborations, qui fait sens pour les intéressés, cherche à transformer l’environnement sociétal et ose se réinventer pour œuvrer à l’inclusion effective des plus démunis et à leur émancipation.