« L’impossible est un possible qui n’a simplement pas encore eu lieu »
Chers et chères membres,
Le temps de la reprise est là après une période de confinement très éprouvante pour la grande majorité d’entre nous. Ma pensée va à l’ensemble de nos équipes qui ne sont pas restées bras croisés, bien au contraire. Elles ont souvent développé des initiatives nouvelles, originales, inédites et solidaires. Au-delà de notre secteur, elles ont porté une aide de première ligne à nos publics les plus en difficultés.
Ma pensée va aussi, plus particulièrement, à nos stagiaires dont certains ont véritablement vécu un calvaire, du point de vue économique, mais aussi et surtout social, psychologique et familial. Je pense à une de nos stagiaires qui a reçu l’appel de la reprise par des pleurs en disant : « c’est la meilleure nouvelle que j’ai eu depuis des semaines ». Nous avons, évidemment, la responsabilité de nos centres, mais nous avons d’abord une responsabilité vis-à-vis des personnes qui les fréquentent. Certes, d’abord dans le cadre de nos engagements professionnels, mais surtout dans le cadre d’une responsabilité morale en écho aux valeurs que nous défendons haut et fort.
Je comprends et partage les préoccupations de mes collègues face aux conditions de cette reprise. Imposer la responsabilité aux centres de garantir la santé mentale et physique des personnes sans en garantir les moyens comme nous l’impose le gouvernement wallon, rend la situation complexe, difficile et angoissante. Un challenge qui tient du problème de la quadrature du cercle. Nous sommes dans l’obligation de préparer activement cette reprise, alors que les conditions minimales ne sont pas réunies pour la faciliter. Nous sommes divisés et en débat sur le sens à donner à une « relance » que nous souhaitons et craignons à la fois. Les uns s’indignent d’imposer la reprise de contacts sociaux à des personnes qui aspirent à rester confinées, les autres insistent sur la nécessité de répondre à la solitude et la détresse morale que d’autres subissent. Tous peuvent défendre leur point de vue avec force et conviction comme nous savons si bien le faire dans nos rencontres collectives.
Avons-nous encore le choix face aux décisions de l’ensemble des autorités ? Ne nous faut-il pas avant tout « prendre le taureau par les cornes », plutôt que de postposer l’échéance de la reprise, au risque d’aggraver encore plus la précarisation de notre public ou la situation de nos centres ?
Votre Fédération continue à vous défendre, à apporter des réponses concrètes aux difficultés que vous rencontrez et à les relayer auprès des autorités. Nous serons plus forts et plus crédibles si nous démontrons notre volonté de répondre au mieux aux défis que nous devons relever. Rester au balcon alors que des secteurs entiers sont dans la bataille pour leur survie, alors qu’on nous annonce la perte de dizaines de milliers d’emploi, n’est pas de mise. Cela pourrait être perçu tant par nos décideurs que par les citoyens comme une preuve d’indifférence ou d’insouciance.
Nos centres ne sortiront pas indemnes de cette crise. Toute la question est de savoir comment limiter ses effets négatifs. Je suis convaincu que la solution passe par une approche intersectorielle, globale, transversale. Nous devons faire preuve de solidarité avec tout le non marchand ou le secteur public, eux qui, à tous les niveaux, ont assumé et continuent à assumer les services essentiels à la population. Ils ont toujours été nos meilleurs alliés, défendre pouvoirs publics et économie sociale fait partie de nos gènes. Il nous faut continuer à le faire, parce que nous sommes complémentaires dans nos rôles respectifs de service aux citoyens.
Nous ne crierons pas avec « les loups » qui, à chaque occasion et particulièrement dans des périodes troubles, n’hésitent pas à attaquer, à dénigrer, à détricoter les pouvoirs publics ou le non-marchand au profit d’un capitalisme ultraconservateur et sauvage. Plus que jamais, nous devons les défendre, nous devons nous défendre. Nous devons faire en sorte de sortir renforcés de cette crise inédite.
Quelles que soient leurs imperfections, économie sociale, non-marchand ou services publics sont les meilleurs garants pour contribuer à l’émancipation de nos publics. C’est avec eux et tous les autres acteurs qui partagent nos préoccupations et valeurs que nous arriverons à avancer, à changer les choses.
« L’impossible est un possible qui n’a simplement pas encore eu lieu » (Steve Crawshaw, Introduction de Petits actes de rébellion)
Necati CELIK
13 mai 2020