Le 25 juin 2020, le Gouvernement wallon a mis sur rail la réforme sur l’accompagnement des « chercheurs » et « chercheuses » d’emploi. Qu’en penser et, surtout, comment se positionner ?
Nous assistons sans doute à un véritable changement de modèle de l’accompagnement au bénéfice des plus précarisés, ce dont on ne peut que se réjouir, même si le respect de la vie privée doit encore être mieux pris en compte…
Par contre, le texte inquiète quand il modifie les relations entre le Forem et les opérateurs de formation et d’insertion appelés dans le texte « tiers ». Entre un modèle centré sur la coopération liée à la reconnaissance de notre autonomie et un autre centré sur l’assujettissement de sous-traitants par un Forem commanditaire, comment trouver, sinon les complémentarités essentielles, du moins des indispensables clarifications ? C’est sur ce dernier point que nos affiliés se montrent le plus inquiet, vigilance et affirmation du rôle des CISP sont à l’ordre du jour…
Le 25 juin 2020, le Gouvernement de Wallonie, sur proposition de la Ministre de l’Emploi et de la Formation, Christie Morreale, a validé en première lecture, l’avant-projet de décret relatif à l’accompagnement des « chercheurs » et « chercheuses » d’emploi. La réforme repose principalement sur « un parcours personnalisé, d’orientation, de coaching, de conseils et de matching entre candidats et offres d’emplois ». Elle vise aussi à recomposer les relations entre le Forem et les opérateurs.
Cette importante réforme pose essentiellement deux questions de fond :
- Assistons-nous à un véritable changement de modèle de l’accompagnement des demandeurs d’emploi (renommés chercheurs d’emploi) au sein du Forem et à un investissement quantitatif et qualitatif au bénéfice des demandeurs d’emploi les plus éloignés de l’emploi ? C’est en tout cas l’ambition affichée par la ministre Morreale.
- Entre partenariat et sous-traitance, le texte modifie les relations entre le Forem et les opérateurs de formation et d’insertion appelés dans le texte « tiers ». Entre ces deux modèles apparemment opposés, comment trouver les indispensables complémentarités ? C’est sur ce point que les affiliés se montrent le plus inquiet, la vigilance est à l’ordre du jour…
Les représentants du secteur des CISP ont découvert ce texte après son adoption en première lecture par le gouvernement wallon. Il a été préparé essentiellement au sein du Forem en dialogue avec le cabinet de la ministre. Sans que son avis ne soit sollicité, l’Interfédé avait tout au plus pris connaissance des grands axes de la de réforme à l’été 2019, ou lors de présentations réalisées par les responsables du Forem notamment au sein de la commission des opérateurs. A la mi-juillet 2020, les échanges avec notre secteur en particulier se sont limités à la présentation du texte et à un premier échange en commission des opérateurs. Nous avons enfin pu prendre connaissance du texte et nous sommes mobilisés pour élaborer analyses et propositions, comme ce groupe de travail en ligne du 8 juillet improvisé en moins d’une semaine avec des affiliés de la fédération …Le 17 juillet, dans l’urgence, l’Interfédération a finalisé et transmis un avis d’initiative.
L’accompagnement des « chercheurs d’emplois » à réformer
Une nouvelle manière d’appréhender l’accompagnement des chômeurs est-elle en gestation ? On peut se poser la question à la lecture de l’avant-projet de décret. La réforme se base sur le constat que la main-d’œuvre wallonne disponible car sans emploi, se caractérise par une part importante de personnes éloignées, voire très éloignées, du marché du travail. Le fait a souvent été sinon ignoré – en tout cas peu pris en compte – par un Forem qui tendait et tend encore à prioriser les personnes les plus proches de l’emploi.
Dès l’inscription du chercheur d’emploi (CE), les informations le concernant, ainsi que celles relatives aux actions entreprises par le Forem et des opérateurs conventionnés seront capitalisées dans son dossier unique. L’utilisation des services digitaux sera privilégiée si la maturité numérique du CE le permet. Son projet professionnel et ses compétences seront évalués dès son inscription pour une orientation rapide vers des actions adaptées à ses besoins :
- Si objectif professionnel et compétences métier sont estimées « robustes », le CE est orienté vers un conseiller sectoriel, a priori accompagnement à distance privilégié
- Si objectif professionnel et compétences métier ne sont pas « assez robustes » ou sont inexistants, activation d’un service en face à face pour un bilan de compétences, test d’orientation, analyse des besoins, clarification des objectifs professionnels sont prévus. Sur base des résultats, il est prévu soit une orientation vers un conseiller sectoriel, soit une orientation vers un conseiller spécialisé/expert, en interaction directe avec des opérateurs spécialisés (CISP, Mire, AVIQ, santé mentale…) pour le public peu ou pas qualifié, le public dit « MMPP », le public en recherche d’un projet professionnel ou en reconversion professionnelle.
Les choses vont-elles changer de façon significative ? Le but de la réforme vise à pousser le service public wallon de l’emploi à proposer des solutions adéquates pour soutenir l’insertion dans l’emploi en adaptant le suivi aux besoins de la personne et donc en priorisant les moyens humains dont il dispose sur les personnes les plus en difficultés. Si cet objectif venait à se concrétiser, c’est à un changement essentiel que nous assisterions, faut-il le souligner.
Le texte présente donc de nombreux points positifs. On relèvera qu’il parle d’insertion socioprofessionnelle, tandis que la note au gouvernement évoque le renforcement des compétences tant sociales que professionnelles. Notre approche globale et intégrée de la personne parait ainsi s’élargir à d’autres opérateurs dont le Forem. La volonté de prise en compte des publics fragilisés, éloignés ou même très éloignés du marché de l’emploi semble réelle avec un investissement humain renforcé des services du Forem dans un accompagnement plus intensif et une meilleure prise en charge. Le renforcement annoncé de l’orientation professionnelle va également dans ce sens. Enfin, et surtout, un seul conseiller sera affecté au suivi d’un demandeur d’emploi au lieu de deux jusqu’à présent, l’un chargé du contrôle et de l’éventuelle sanction, l’autre de l’accompagnement. L’objectif non annoncé ici est de réduire les sanctions comme c’est le cas en Flandre où prévaut ce modèle ; c’est là un effet attendu dont on ne peut que se féliciter…
Les futures relations entre le Forem et ses partenaires entre sous-traitance et collaboration
Entre coopération et sous-traitance, le texte va modifier les relations entre le Forem et les opérateurs de formation et d’insertion appelés dans le texte « tiers ». Entre ces deux modèles apparemment opposés, comment trouver les indispensables complémentarités ? C’est là un paradoxe à relever alors que la note au gouvernement wallon annonce un partenariat faisant la part belle à la concertation, assertion aussitôt démentie par un ensemble de nouvelles contraintes sans précédent pesant sur ces « tiers ».
Le texte prévoit que la future collaboration entre le Forem et le partenaire portera au minimum sur la mise en visibilité de l’offre de services, l’information relative à la disponibilité des places, l’échange d’informations entre le service public wallon de l’emploi et le partenaire, l’évaluation de la collaboration. Elle sera organisée au sein d’une commission régionale de pilotage, de commissions sous-régionales de concertation et à travers des conventions de collaboration individuelle entre l’Office wallon et les opérateurs ; ces commissions seraient pilotées par le Forem. Le texte prévoit pour les opérateurs, les obligations de respecter le contenu du plan d’actions annuel global et la convention de collaboration Forem/opérateur, la prise en charge de CE envoyés par l’Office wallon, la communication de son offre de prestations dont la disponibilité des places donnant accès aux prestations qu’il offre et leur mise à jour, le suivi du CE et le retour d’information au Forem.
Nous notons un décalage entre la note de la Ministre Morreale au Gouvernement (NGW) et sa traduction dans le texte réglementaire (APD). Ainsi, la note GW souligne le renforcement des compétences tant sociales que professionnelles des CE, mais l’APD ne le dit pas explicitement. Ou encore, la ministre souligne l’importance du partenariat co-construit et en confiance mutuelle (page 16 NGW) alors que l’APD donne une place prépondérante au Forem dans le pilotage du partenariat.
On le voit le texte hésite entre deux tentations opposées ; la question de fond qui se pose ici est celle de l’autonomie réelle des CISP. Vous en doutez encore ? La preuve par deux exemples contradictoires :
- L’article 20. 3° prévoit que le centre de formation partenaire (le « tiers ») « accueille et prend en charge le chercheur d’emploi sauf si, après concertation avec le FOREM, il objective que la prestation offerte qu’il offre n’est pas adaptée au profil, aux besoins, au degré de proximité du marché du travail et à l’environnement socio-économique du chercheur d’emploi ».
Si vous n’avez pas lu entre les lignes ce qu’implique cette obligation, le commentaire de l’article est plus explicite : « Les opérateurs avec lesquels le FOREM collabore s’engagent à prendre en charge les demandeurs d’emploi adressés par le FOREM ».
Vous voilà donc contraints d’accepter toute personne envoyée par le Forem quel que soit votre taux d’occupation ou l’éligibilité effective du candidat !
Une telle obligation est à mettre en opposition avec l’affirmation suivante extraite de la page 16 de la note au gouvernement wallon : « il est évident que le FOREM devra poursuivre, optimiser, voire amplifier ses relations avec les partenaires et les tiers (opérateurs d’insertion socioprofessionnelle et opérateurs de formation, voire d’enseignement). Ces relations devront s’organiser en co-construction et en confiance mutuelle » - Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) amplement cité en référence dans le projet de texte établit une nette distinction entre la responsabilité d’un « partenaire » et celle d’un « sous-traitant ». Si le CISP est partenaire, le décret CISP reste la base légale de référence ; il est le responsable de traitement de données relatives à ses publics. Le décret relatif à l’accompagnement des chercheurs d’emploi doit alors préciser quelles données privées le CISP doit obligatoirement récolter et transmettre au Forem. A défaut, seules les données pour lesquelles un consentement écrit explicite du chercheur d’emploi sera obtenu pourront être partagées, avec l’obligation d’effacer ces données à la première demande de la personne concernée. Par contre, si, dans le cadre du décret accompagnement, les CISP sont des sous-traitants du Forem, seul le responsable de traitement, à savoir le Forem, sera redevable, y compris juridiquement, des données récoltées, de leur utilisation et de la durée de leur conservation.
Il est donc extrêmement important de clarifier la nature des relations entre le Forem et les « tiers », au risque de créer confusion, tensions et conflits… aux dépens des usagers. On se passera volontiers de ce qui s’annonce comme une vraie gabegie ! Sur cette question, le choix du secteur – s’il a voix au chapitre – est clair : nous plaidons la défense de notre autonomie et de cette liberté pédagogique sans lesquelles nous n’existerions sans doute pas ! Il nous faut rappeler l’existence de la charte associative ou du principe de l’autonomie des pouvoirs locaux et revendiquer leur respect.
L’Interfédération mutualise et remet un avis d’initiative
Le passage au gouvernement en 2ème lecture du texte encadrant la réforme est prévu en septembre après les vacances d’été. Les avis écrits sont à transmettre rapidement afin que le gouvernement puisse en tenir compte. D’une seule et même voix, notre secteur a finalisé un avis d’initiative transmis déjà le 17 juillet. L’Interfédération porte ainsi nos propositions auprès des décideurs politiques et de nos partenaires, et tente de convaincre de leur pertinence !
Aux côtés de nombreuses autres propositions, l’avis de l’Interfédération propose, au nom des CISP, de modifier la notion de « tiers » en « partenaire » et d’affirmer le caractère partenarial de la relation entre le Forem et les acteurs de l’insertion socioprofessionnelle agréés (dont les CISP), notamment dans le respect de leurs décrets organiques respectifs, de la charte associative, du principe de l’autonomie des pouvoirs locaux, du RGPD, ou du secret professionnel.
Nous craignons des lacunes dans le respect de la vie privée des usagers avec un transfert d’informations mal encadré dans le dossier unique du demandeur d’emploi. Nous insistons sur le fait de privilégier la mission d’accompagnement des CISP et non celle de contrôle, ou l’établissement d’un véritable partenariat entre le Forem et les opérateurs externes. Nous avons toujours revendiqué d’être exemptés, dans le cadre du contrat de coopération avec le Forem, de l’obligation de fournir des informations sur les demandeurs d’emploi qui pourraient être utilisées contre eux par le service contrôle du chômage. A tout le moins, il nous faut l’accord du demandeur d’emploi.
L’avis met en avant la nécessité de prévoir une évaluation du nouveau dispositif endéans un délai raisonnable pour le mettre en œuvre. Un droit de recours des chercheurs d’emploi devant une instance extérieure au Forem doit être mis en place.
L’Interfédé considère qu’en l’état, cet avant-projet de décret ne constitue pas encore un texte abouti. Sans modifications profondes, il n’aura pas les effets qu’il ambitionne ; il risque au contraire d’affaiblir un réseau partenarial avec toutes les conséquences qui en découleront pour l’insertion du demandeur d’emploi. Nous demandons à la Ministre de pouvoir prendre en considération tout ou partie significative des nombreux amendements que nous formulons en vue de la rédaction d’un texte à soumettre au Gouvernement wallon en 2ème lecture.
En guise de conclusion…
Le premier objectif annoncé de ce texte est l’amélioration de l’emploi en Wallonie. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence de cette finalité annoncée en l’absence d’une politique de création d’emplois y concourant.
La crise sociale, conséquence du coronavirus commence déjà à frapper au niveau de l’emploi en Wallonie avec près de 30.000 demandeurs d’emplois supplémentaires aux 180.000 préexistants. Le Forem s’est adapté, en contactant dans les 48 heures ceux qui viennent de perdre leur emploi avec des premiers résultats probants. L’administratrice générale du Forem, Marie-Kristine Vanbockestal affirmait ainsi le 17 juin 2020 sur l’antenne de La Première : « Nous nous sommes dit que parmi ces personnes, il y avait des nouvelles personnes qui venaient s’inscrire pour la première fois, et des personnes avec expériences, employables rapidement. En 48h, le Forem a contacté ces nouveaux demandeurs d’emploi pour faire les premiers bilans et les premières propositions ». Sur 30.000, 9000 ont été identifiés comme étant potentiellement employables immédiatement et se sont vus proposer 18.000 offres d’emploi. Aujourd’hui, après 5 semaines, 25% d’entre eux, soit 2220, sont repartis à l’emploi. Il ne reste qu’à applaudir ? Pas si sûr !
Faire en sorte que ceux qui « tombent au chômage » remontent au plus vite vers l’emploi est une initiative dont la pertinence est incontestable. Il n’y aurait rien d’autre qu’un bon sens apparent derrière cette stratégie : puisque la capacité d’un individu à rejoindre le marché du travail décroît au fur et à mesure qu’il s’enlise dans le chômage, il faut lui éviter de rejoindre ce « chômage structurel » qui est si lourd en Wallonie. Est-il alors permis face à l’évidence d’une telle politique d’en pointer l’effet pervers ? Qu’on le veuille ou non, les chômeurs de longue durée oubliés pendant ce temps s’éloignent un peu plus encore de l’emploi. Que pèsent en effet leurs CV à côté de ceux qui comportent une expérience utile, réelle et récente ?
Dans la course pour décrocher un poste de travail, le mérite de la réforme de la ministre Morreale est d’augmenter les chances d’accéder à l’emploi pour les plus précarisés. Le débat sur la question de la priorité à accorder à ces derniers aux dépens sans doute de ceux qui sont plus proches de l’emploi n’est pas terminé, et encore moins conclu avec cette réforme, loin sans faut ! On ne s’empêchera pas de penser – et même de le dire haut et fort ici – que la question de la priorité à donner à l’embauche des uns par rapport aux autres est secondaire, voire futile.
La question centrale est celle d’une politique volontaire et significative de création d’emplois pour les oubliés de la croissance et de la digitalisation de l’économie. La note d’orientation relative à la sortie de la pauvreté adoptée par le gouvernement wallon du 25 juin annonce bien le renforcement du dispositif article 60/61 ou que la période de travail en article 60-61 sera assimilée à une période d’inoccupation favorisant l’accès à l’aide Impulsion au terme du contrat article 60-61. Il y est aussi question de renforcer l’aide « Impulsion » pour les publics plus vulnérables, inoccupés depuis plus de deux ans. Fort bien, mais cela nous parait un peu court si on a l’ambition d’impulser une réelle politique d’emploi pour les peu qualifiés… La Wallonie peut mieux et plus !
On attend des objectifs ambitieux, des moyens budgétaires à la hauteur des enjeux et un programme cohérent et volontaire de création d’emplois pour nos publics. Avouons-le, l’initiative est belle, mais sans efforts supplémentaires, ses intentions risquent de tenir plus du discours que d’actes concrets et palpables…