A l’appel de « #STILLSTANDING FOR CULTURE », samedi 20 février, les artistes se sont fait entendre à travers plus de 300 opérations dans une centaine de villes de Belgique pour crier qu’ils n’en peuvent plus. Dans la foulée de ces manifestations, une soixantaine de représentants du mouvement se sont réunis lundi 22 février matin devant le cabinet de la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), Bénédicte Linard, afin d’exiger la réouverture du secteur et d’exprimer leur “soif de culture”. La ministre de la culture plaide pour une réouverture progressive à partir de la mi-mars, pour elle tout est prêt, à commencer par les protocoles. Le secteur de l’action sociale suit avec attention la situation. Mais le premier ministre n’annonce pas de reprise progressive significative avant mai…
Dans une parution du 18 décembre, nous nous interrogions sur la pertinence d’une rumeur circulant chez nos affiliés faisant état d’un retour au présentiel dans les centres au mois de mars… On y signalait que personne ne connaissait la date de reprise en présentiel, cela dépendant d’abord de l’évolution de la pandémie, ensuite de l’attitude de nos décideurs politiques… À fin février, il faut bien constater que la situation a peu évolué. Normes sanitaires, télétravail obligatoire et formation à distance restent les référents réglementaires qui s’imposent à toutes et tous, à une nuance importante près avec le retour autorisé à un prudent présentiel collectif dans (presque) tous les centres d’insertion socio-professionnelle tout comme pour le secteur de la formation professionnelle des adultes… Mais l’attente de reprise, elle, est de plus en plus pressante dans le secteur de l’action sociale ou celui de la culture… Nous faudra-t-il attendre le mois de mai ?
La culture monte au créneau…
Samedi 20 février les artistes se sont fait entendre au troisième appel du collectif “Still standing for culture” pour crier qu’ils n’en peuvent plus et qu’il faut répartir l’effort du confinement sur tous les secteurs. Ces multiples manifestations ont eu un écho médiatique considérable. Les artistes ont organisé plus de 300 opérations dans une centaine de villes à travers la Belgique. Les artistes ont ainsi créé des files d’attente statiques devant les lieux culturels fermés comme devant le théâtre national de Bruxelles, le théâtre royal de Liège ou le Delta à Namur. Ils ont demandé d’apporter des chaussures, pour former des files virtuelles devant le théâtre Varia à Bruxelles ou devant la maison de la culture à Tournai. À Liège, l’ASBL Que Faire diffuse des témoignages de spectateurs racontant comment ils ont été bouleversés par un spectacle, sur les marches de l’opéra, le chœur de l’Opéra Royal de Wallonie rassemble une centaine de personnes. À quelques encablures, au Théâtre de Liège, le « Collectif Mensuel » propose une lecture que l’on peut suivre de l’extérieur sous forme de dramatique radio. Un peu plus loin, un DJ met l’ambiance depuis un balcon.
À l’abbaye de Floreffe, les artistes et techniciens du festival Esperanzah se produisent derrière des enclos rappelant qu’ils sont privés de spectateurs alors que les parcs animaliers peuvent ouvrir leurs portes. « Les parcs zoologiques peuvent ouvrir, mais la culture reste fermée. Nous avons créé un parc artistique pour espèces en voie de disparition, qui présente non pas des spectacles car il s’agit d’une action politique, mais des spécimens en pleine action, tels que des artistes, musiciens, chanteurs, régisseurs… », explique Jean-Yves Laffineur, programmateur d’Esperanzah. Cent personnes étaient autorisées à visiter ce parc parodique alors que les organisateurs avaient reçu un millier de demandes. À quelques kilomètres de là, l’asbl « Namur en mai » (NEM), qui organise le festival des arts forains du même nom, met en lumière une autre singularité des mesures actuelles. « Puisque nous avons reçu l’autorisation de manifester de manière statique et non de laisser les artistes se produire dans les mêmes conditions, nous avons vu des artistes costumés, maquillés, prêts à performer mais tristement muets. La censure actuelle les obligeant à ne pas pratiquer leur art », indique Samuel Chappel, directeur de la manifestation. Prenant la parole à ses côtés, des artistes mais aussi une psychologue ou encore une représentante du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté soulignent tous l’importance de la culture dans notre société.
Sur la Grand-Place de Louvain-la-Neuve, une centaine d’acteurs culturels du Brabant wallon mettent en scène une course se résumant à une succession de faux départs pour rappeler que « la culture est dans les starting-blocks » en attendant un signal de départ plus vital que jamais.
Dans de nombreux endroits, des musiciens donnent des mini-concerts devant les cafés fermés, des artistes s’exposent dans des vitrines ou dans des musées…
Les artistes veulent sortir de cette invisibilité et de cet isolement forcé où le gouvernement les a cantonnés depuis un an, sans braver l’interdit, mais en s’insinuant dans les interstices ambigus des mesures sanitaires. Ils demandent au monde politique et aux virologues de chercher d’autres manières de gérer l’épidémie et de répartir équitablement le poids des efforts sur l’ensemble de la société et de défendre la culture comme bien commun, comme un droit, au même titre que l’accès aux soins, à l’éducation ou encore la justice.
→ Lisez ici le communiqué du collectif “Still standing for culture”.
… la pression collective est de plus en plus forte…
Les attentes de la population à un retour à nos habitudes sociales habituelles est de plus en plus forte. Ainsi à Liège, dans la foulée des événements impulsés par les artistes, un carnaval improvisé a défrayé la chronique. C’est que ce samedi-là qui suit le mardi gras, est traditionnellement celui où se déroule le carnaval du Nord, dans le quartier Saint-Léonard. Cette année, rien n’était officiellement prévu mais des personnes avaient néanmoins décidé de déambuler déguisées ou grimées, quand d’autres avaient mis leur instrument sous le bras. Au bout du compte, après un rassemblement rue Maghin où se tenait une autre manifestation en faveur du secteur culturel, plusieurs centaines de personnes se sont laissées emporter au cœur de l’après-midi par l’ambiance festive communicative, faisant fi du respect des règles sanitaires qui interdit – faut-il encore le rappeler – de tels rassemblements. Des policiers en civil présents sur les lieux auraient dû en principe mettre à l’amende certains des fêtards qui ont progressivement gagné d’autres endroits avec près de 200 personnes place Xavier Neujean 250 dans le parc de la Boverie, soit plus de 50 rassemblements spontanés à des endroits différents.
On ne s’étonnera pas que d’autres événements semblables se sont produits ultérieurement, notamment mercredi 24 février. Durant cette belle journée, à Bruxelles, de nombreuses personnes se sont rassemblées, parfois massivement, dans le Bois de la Cambre pour profiter du soleil. Fin de journée, plusieurs centaines de personnes ont joué les prolongations et y ont fait la fête, omettant les gestes barrières. De telles situations ont été rapportées à Gand, ou à Louvain. A Liège (encore une fois), au parc de la Boverie, plusieurs milliers de jeunes selon RTL s’y étaient rassemblés, de manière improvisée, pour profiter du beau temps, sans respect des règles sanitaires. Partout, les médias informent que le couvre-feu semble, lui, avoir été respecté.
La pression se fait de plus en plus forte pour un déconfinement qui, de fait, a été mis en oeuvre pour quelques heures contre les injonctions des autorités…
… et se traduit en débats politiques
Comme il se doit en démocratie, ces aspirations et ces manifestations collectives se traduisent en débats politiques.
Dans la foulée des manifestations du collectif “Still standing for culture”, une soixantaine de représentants du mouvement Faire Front se sont réunis lundi 22 février matin devant le cabinet de la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), Bénédicte Linard, afin d’exiger la réouverture du secteur et d’exprimer leur “soif de culture” à l’attention des gouvernements fédéral et francophone. FGTB, CGSP, CNCD-11.11.11, Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), Action logement Bruxelles (ALB), Gang des vieux en colère, Collectif 8 mars, Youth for Climate… se sont relayés devant le bâtiment du gouvernement de la FWB.
La ministre de la culture plaide pour une réouverture progressive à partir de la mi-mars. “Tout est prêt pour pouvoir le faire, les protocoles sont prêts”, a-t-elle déclaré le lendemain sur Bel RTL, tout en précisant qu’il reviendra au comité de concertation de décider. Concrètement, voici la proposition des phases de reprise faite par la ministre :
- PHASE 1 (mi-mars) : autorisations à des activités extérieures de maximum 200 spectateurs avec respect d’un protocole de sécurité, de spectacles intérieurs de maximum 100 spectateurs avec respect d’un protocole de sécurité et d’activités culturelles de groupe (ateliers, visites guidées, etc.) de maximum 25 participants
- PHASE 2 (quelques semaines après, avant les vacances de Pâques) : stages de Pâques avec 50 participants comme auparavant
- PHASE 3 (juste avant l’été) : reprise éventuelle des festivals : « Il y a différentes formules mises sur la table par les organisateurs. Ceux-ci ont besoin d’avoir une réponse pour la mi-mars. Sans réponse, ils ne savent pas s’engager pour la suite », a expliqué la ministre.
… les opérateurs du secteur de l’action sociale ou de l’ISP sont attentifs…
Faut-il dire combien les travailleurs du secteur de l’action sociale sont attentifs à l’évolution de la situation, eux qui ne peuvent recevoir leurs publics qu’individuellement et sont condamnés à développer des trésors d’intelligence pour s’adapter à un improbable distanciel avec des publics victimes de la fracture numérique. C’est plus particulièrement le cas des formations dites “FLE”, acronyme pour “Français – Langue étrangère” dans les ILI’s (Initiatives Locales d’Intégration). Les nouvelles consignes disponibles sur le site du SPW Emploi et Formation, permettent aux opérateurs de formation et d’insertion, agréés ou subventionnés par la Région wallonne, d’organiser à partir du lundi 15 février des activités en présentiel s’il est impossible de les organiser à distance. Mais les autorités régionales interpellées sur le fait de savoir si ces consignes s’appliquent également aux opérateurs de l’action sociale affirment qu’elles n’y sont pas transposables.
Ces centres ne sont-ils pas eux aussi confrontés à des difficultés dans l’organisation des formations et activités à distance ? Les multiples fractures (numérique, sociale, langagière,etc.) qui touchent le public ne rendent-elles pas urgent d’envisager des perspectives de reprise même partielles ? Les opérateurs ne peuvent cacher leur étonnement quant au fait que des centres de promotion sociale ou encore des activités financées par un des appels à projets du Forem puissent progressivement reprendre leurs activités collectives.
On rappellera ici et à nouveau combien sont proches les mondes du social, de l’insertion socio-professionnelle, de la culture ou encore de l’éducation permanente, tant au niveau des valeurs, de l’histoire ou même des pratiques professionnelles.
… mais le socio-culturel dans son ensemble a peu de chances d’être entendu
Les propositions de la ministre de la culture risquent malheureusement de se voir reporter à plus tard, et nos affiliés devront sans doute encore patienter… Alors, quand la culture et le social seront-ils entendus par les autorités ? Lundi 22 février le Premier ministre (Open VLD) Alexander De Croo a tenu une conférence presse aux côtés des deux experts interfédéraux Covid-19 pour dévoiler les modèles d’évolution chiffrée de l’épidémie sur le long terme. Il en ressort que la perspective de déconfinement n’est pas prévue avant mai. Sans surprise, plus les assouplissements des mesures Covid interviendront tard, plus l’effet de la vaccination sera grand et plus l’impact sera limité sur l’augmentation des hospitalisations. Un relâchement des mesures au 1er mars est présenté comme le plus mauvais des scénarios ; selon les projections, on observerait dans le courant du mois d’avril un pic de l’épidémie comparable à ce que la Belgique a connu en novembre ou lors du premier confinement. Si le variant britannique du Covid devait être plus virulent que ce que l’on en sait actuellement, ce nouveau pic épidémique pourrait même, selon les experts, être deux fois plus important…
La situation sanitaire du moment invite à la prudence. Alors qu’à peine 4% de la population adulte en Belgique est vaccinée, la vaccination du grand public ne devrait commencer que “dans le courant du mois de mai” selon Sabine Stordeur, coresponsable de la task force vaccination, lors de la conférence de presse du centre de crise de mardi 23 février. Par ailleurs, les indicateurs ne sont pas bons, des hausses récentes indiquent que la transmission du virus progresse à nouveau. Selon Sciensano le 24 février, le nombre de nouvelles contaminations repart à la hausse, avec 2170,7 nouveaux cas détectés en moyenne par jour sur la période de référence, soit +19%. C’est le 6e jour de hausse consécutive de cette moyenne, qui n’était que de 1791 cas par jour le 18 février et qui monte assez rapidement depuis. Le taux de reproduction (Rt) du coronavirus estde nouveau supérieur à 1 et s’établit à 1,03, tandis que le taux de positivité est en augmentation de 1,4 %. Les admissions à l’hôpital, elles, s’élèvent en moyenne à 123,9 hospitalisations par jour, en hausse elles aussi de 5% en moyenne sur sept jours. En milieu hospitalier, on commence à craindre une troisième vague
La situation sanitaire dans les pays voisins n’incite pas à l’optimisme. Le gouvernement a annoncé cette semaine une prolongation jusqu’au 15 mars du couvre-feu aux Pays-Bas. En France, un confinement le week-end dans l’agglomération de Dunkerque où « un sur cent tombe malade chaque semaine » est décrété ; les déplacements le week-end n’y seront possibles que pour certains motifs, tandis que 20 départements vont être placés sous “surveillance renforcée” avant de possibles mesures plus strictes. En Allemagne, un renforcement des mesures sanitaires à la frontière franco-allemande dans le département de la Moselle, un des plus touchés par l’épidémie de Covid-19, est en place. Les autorités y hésitent à assouplir les mesures de restriction, les chiffres ont atteint un plateau et, ces derniers jours, ils ont commencé à légèrement augmenter.
Pas de reprise de la culture ou du social en mars alors ? Il est fort probable que sans le variant britannique, on aurait pu introduire des assouplissements en mars mais on est obligé de repousser l’échéance parce que le risque d’une 3e vague est énorme. Le Codeco de vendredi 25 février ne semble pas se présenter favorablement pour des mesures significatives de reprise ; on y annonce par exemple la levée de l’interdiction des voyages non essentiels. Heureusement, les mêmes analyses et analystes indiquent qu’en mai, on pourrait faire des pas significatifs dans le déconfinement… Enfin une perspective positive globale, quoique encore trop lointaine face aux impatiences du terrain…Et rien de significatif pour la culture ou l’action sociale d’ici mai ? On ne peut s’y résoudre…
Il nous faut continuer à gérer l’incertitude. Jusqu’à quand ?
Il n’y a pas que les artistes ou les travailleurs sociaux, la population en a assez de la situation actuelle. Des ténors de différents partis s’en sont fait le relais, certains ont donné, parfois inconsidérément, de la voix. Alexander De Croo entend le message, dit-il. Répondant aux questions et aux critiques des députés sur la stratégie du gouvernement dans la crise du Coronavirus, jeudi 25 février à la Chambre, il a, en quelque sorte, balisé le terrain pour le Comité de concertation du lendemain :. “Le Comité de concertation qui se réunira vendredi se tiendra à un moment difficile. Nous avons tous, ces derniers jours, senti le parfum du printemps et le parfum de la liberté. Mais après un an de mesures difficiles, nous nous rendons compte qu’il faut quand même continuer à veiller les uns sur les autres pour nous protéger d’un rebond.” Il avait déjà souligné que c’est la première fois que les scientifiques donnent une perspective de réouverture clairement annoncée avec l’arrivée du printemps… reportée donc en mai… Bon, faudra s’en contenter… Et regretter à nouveau que la santé mentale des citoyens n’est décidément pas une priorité pour nos décideurs…
Si aucun parti de la majorité ne met en doute la nécessité d’aller vers un déconfinement, évidemment progressif, chacun comprend le ras-le-bol de la population et perçoit la menace grandissante qui pèse sur l’adhésion aux mesures sanitaires. Le mot-clé pour les professionnels est protocole. Experts, politiques et responsables des secteurs professionnels concernés (de l’horeca à la culture) travaillent d’arrache-pied, dit-on, à l’élaboration des mesures de sécurité (masques, distances, plexiglas, aération, …) qui seront incontournables pour réouvrir. Il nous faut donc continuer à gérer l’incertitude…jusqu’à quand ?
En mai, fais ce qu’il te plait ? Cap, ou pas cap ?